L’avenir des emplois du secteur de la restauration selon Florent Malbranche, CEO de Brigad

Publié le 17.11.2021 - Dernière modification 31.10.2022
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Sommaire
  1. Pourriez-vous nous raconter l’histoire de Brigad, comment vous est venue l’idée de créer cette plateforme ?
  2. Comment fonctionne ce service ?Vous proposez surtout des remplacements de dernière minute et de courte durée ou également des contrats de longue durée ? 
  3. Dans quelle mesure optimisez-vous le recrutement des restaurateurs, quels conseils leur donnez-vous ?
  4. Comment combiner développement de son activité de restaurateur et attentes des employés ?
  5. Pourquoi le freelancing s’accélère-t-il dans les métiers de l’hôtellerie restauration ?
  6. Pensez-vous que l’avenir du statut de ces métiers tend vers le freelancing plutôt que vers le salariat ? 
  7.  
  8. En 2020, vous êtes officiellement devenu une entreprise à mission, pourriez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ? 
  9. Quel était l’état du marché avant la crise de la Covid-19 ? Observiez-vous déjà des difficultés dans le recrutement dans le secteur de l’hôtellerie-restauration ? 

Depuis 2016, Brigad met en relation des milliers d’entreprises avec des indépendants du secteur de la restauration commerciale ou collective. Une nouvelle forme d’accès à l’emploi qui attire de plus en plus de talents en demande de flexibilité et de restaurateurs en manque de personnel. TheFork a rencontré Florent Malbranche, le CEO fondateur, qui nous a donné sa vision de l’avenir des métiers du secteur. 

Pourriez-vous nous raconter l’histoire de Brigad, comment vous est venue l’idée de créer cette plateforme ?

C’est venu de deux constats. J’avais envie d’un projet avec de l’impact sur la vie des gens et par ailleurs, j’ai toujours eu une passion pour le secteur de la restauration. Je me suis rendu compte en creusant qu’il y avait un vrai sujet autour du personnel. À l’époque, côté restaurateurs, il y avait une frustration liée au temps passé à recruter, à la difficulté de fidéliser les gens et à l'impossibilité de vérifier les compétences des personnes recrutées. 

Côté professionnels, on a constaté un manque de reconnaissance et beaucoup de plaintes au niveau de la rémunération et des horaires de travail (coupures et charge horaire). Ces éléments de frustration font que les gens quittent le secteur car ce sont des métiers peu compatibles avec une vie de famille ou d’autres projets. C’est ce qu’on a constaté en 2016 donc on s’est demandé comment apporter de la valeur sur ce sujet. Très vite, l’idée de créer une communauté de professionnels du secteur et de l’autre côté, permettre aux établissements de proposer des missions nous est venue. Notre rôle à nous, c’est de les connecter et de faire en sorte que cela se passe le mieux possible. Aujourd’hui on est présents en France (75% des missions qu’on propose) et en Angleterre (pour les 25% restants) et on compte 18 000 professionnels à leur compte dans la communauté de brigadeurs. 

 

Comment fonctionne ce service ?Vous proposez surtout des remplacements de dernière minute et de courte durée ou également des contrats de longue durée ? 

Brigad prend la forme d’une marketplace sur laquelle les restaurateurs postent des besoins. Ensuite, la plateforme propose un prix pour la prestation qu’elle soumet à l’entreprise pour validation. Cette proposition est envoyée à la communauté et c’est la première personne qui accepte la mission qui la prend. Cela présente deux avantages : d’abord, ça va très vite (dans 90% des cas la réponse est reçue en moins de 30 minutes) et cela permet de diminuer stress et temps passé à recruter

Le deuxième avantage, est que les missions sont proposées uniquement en fonction des compétences des gens et cela balaye donc toutes les discriminations possibles. C’est quelque chose qu’on a eu du mal à imposer aux restaurateurs au départ. Aujourd’hui, c’est accepté car ils réalisent que cela ouvre le potentiel de talents avec qui ils vont pouvoir travailler. Notre postulat c’est de dire que 80% des besoins du restaurant doivent être gérés par du personnel permanent, c’est la colonne vertébrale d’un établissement. Concernant les 20% restants, ils correspondent aux besoins en remplacement, aux pics d’activité, aux absences de dernière minute, autant de raisons de faire appel à des personnes variables. Pour ça, on est là. La mission moyenne chez nous est de deux jours, ce sont donc des missions courtes et l’essentiel d’entre elles sont postées quatre ou cinq jours à l’avance. En résumé, Brigad est apporteur d’affaires et les “brigadeurs” sont libres ou non d’accepter les missions.  

Dans quelle mesure optimisez-vous le recrutement des restaurateurs, quels conseils leur donnez-vous ?

Le conseil que je leur donne c’est de ne pas avoir besoin de recruter en essayant de conserver leur personnel le plus longtemps possible. Il faut sortir du cas classique de la personne en coupure, qu’on paye au SMIC et à qui on donne un complément en liquide. Il faut en finir avec ce schéma et s’ouvrir à plus de flexibilité : à des gens qui vont vouloir travailler uniquement le midi, le soir ou quelques jours par semaine. Il faut travailler avec plus d’externes et chouchouter son personnel permanent. On constate que les restaurants qui ont moins de problèmes de recrutement sont des établissements qui ont une politique RH beaucoup plus poussée que la plupart des autres établissements. Il faut que les RH soient plus considérées comme un centre de profit qu’un centre de coûts. Un bon serveur ou une bonne serveuse c’est quelqu’un qui va augmenter le chiffre d’affaires d’un établissement. Il faut prendre soin du personnel, capitaliser dessus et mieux rémunérer. Les gens ont besoin d’un environnement plus sécurisé. La stratégie RH est un élément clé du succès d’un restaurant.  

 

Comment combiner développement de son activité de restaurateur et attentes des employés ?

Il faut placer le bien-être des salariés comme un élément clé du développement d’un restaurant. Il y a trois choses auxquelles on est confronté lorsqu’on rentre dans un restaurant. En premier, le personnel, en second, le lieu et en troisième position, la nourriture. Il est possible de rater les deux premiers éléments d’entrée de jeu. Souvent, on constate que les restaurateurs ont tendance à négliger le personnel et à trop se concentrer sur la partie nourriture or, l'expérience du restaurant, ce n’est pas seulement ce qu’on va manger. En France, les choses changent mais ce n’est pas suffisamment pris en considération. C’est une question de générations...

 

Pourquoi le freelancing s’accélère-t-il dans les métiers de l’hôtellerie restauration ?

Le freelancing répond à plusieurs problématiques. 

Côté professionnels, le besoin de plus de reconnaissance, de plus de liberté et de plus de revenus d’une partie des professionnels du secteur. Qui dit freelance dit aussi plus de rémunération et capacité à choisir ses horaires et son lieu de travail. Aussi, travailler en freelance permet plus de développer son apprentissage. Les talents ont l’impression d’apprendre beaucoup plus en étant confrontés à plein de façons de travailler différentes. Côté restaurateurs, le freelancing répond aux exigences d’un marché où les restaurants montent en gamme, ont besoin de plus de flexibilité et d’attirer des profils plus forts

Chez Brigad, on répond à une problématique qui n’avait jamais été réglée jusqu’à présent : le besoin de quelques heures de travail seulement. C’est pour cela que le contrat d’extra a été inventé, mais cela demande beaucoup de temps, et notamment toute la partie administrative nécessaire à ce type d’embauche pour seulement quelques heures de travail. Le business model de l'intérim ne fonctionne pas sur des missions courtes.

 

Pensez-vous que l’avenir du statut de ces métiers tend vers le freelancing plutôt que vers le salariat ? 

Non, la part de freelancing va peut être augmenter mais d’abord, ce ne serait pas légal. Aussi, je ne pense pas que ce soit dans l'intérêt des restaurateurs. Il y aura toujours une forme de travail fixe et une forme de travail variable. Le restaurant doit avoir un squelette de personnel qui ne bouge pas, sinon cela irait à l’encontre de l’identité du lieu et de la culture d’entreprise. Cependant, je pense qu’il faut donner une place aux gens qui travaillent de façon différente. La beauté du statut de freelance est qu’il permet de la flexibilité sur une variété de situations. Chez Brigad, on observe des situations qui correspondent à plein de réalités différentes ! Il y a des coachs sportifs qui font du service à côté, il y a des parents qui ont envie d’avoir du temps à consacrer à leur famille et même des retraités.

 

En 2020, vous êtes officiellement devenu une entreprise à mission, pourriez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ? 

Cela consiste à se doter d’une raison d’être et d’engagements. Chez Brigad, notre raison d’être, c’est de valoriser le travail et de le rendre accessible à tous. Nous avons plusieurs engagements tels que l’augmentation des revenus ou la lutte contre les discriminations. On va publier prochainement notre rapport à ce sujet. On a un comité de mission qui valide ces objectifs et rédige le rapport de mission. Nous, en réalité, ça ne change pas grand-chose car nous avions déjà ces valeurs dès notre création. On a simplement explicité ce qu’on faisait depuis toujours chez Brigad. 

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Quel était l’état du marché avant la crise de la Covid-19 ? Observiez-vous déjà des difficultés dans le recrutement dans le secteur de l’hôtellerie-restauration ? 

Oui, on s’est créés en 2016 car le problème existait déjà mais la Covid a permis de gagner dix ans. Beaucoup de talents ont quitté le milieu car ils n’en pouvaient tout simplement plus, on estime à 270 000 le nombre de personnes qui ont quitté l’industrie, ce qui représente 10% de la communauté Brigad. Les salariés du secteur de la restauration ont été aidés comme ceux de beaucoup d’autres secteurs ! Alors pourquoi est-ce qu’il y a eu autant de départs et, surtout, un non retour massif ? Et bien parce que les gens ont découvert qu’ils étaient capables de faire d’autres métiers moins durs et que ces métiers-là étaient très difficiles et prenaient beaucoup de temps. Il y a 20% des gens qui ne sont pas revenus dans le secteur après la crise


Ce phénomène nous pendait au nez depuis toujours et c’est en cela qu’on a gagné dix ans. Ça s’est seulement accéléré. Le temps passé dans le secteur de la restauration est d’environ 8 ans. Cela signifie que des gens sont formés et, une dizaine d’années plus tard, ils changent de métier alors qu’ils sont pour la plupart diplômés d’un BTS ou d’une école de cuisine ou d’hôtellerie. C’est de l’argent gaspillé car on leur offre des conditions de travail affreuses ! Je trouve que la Covid a permis de mettre cela en avant et qu’aujourd’hui, il faut se remettre en question : mieux payer les gens, leur donner des conditions de travail dignes, arrêter les coupures. Ces éléments doivent évoluer, on est à un vrai tournant.

 

Depuis la crise, que constatez-vous ? Avez-vous observé beaucoup de reconversions professionnelles ? 

On observe qu’il y a eu un départ vers les métiers de la santé, du sanitaire, une reconversion vers les métiers du soin ou de la vente. Les métiers du retail cherchent beaucoup de profils issus du monde de la restauration car ils ont le sens du service. 

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Quel est selon vous le plus grand problème du secteur et qui le rend de moins en moins attractif ? Les salaires, les heures de travail, la considération professionnelle ?

Ce sont les trois ! Je pense que l’argent est peut être l’élément qui prime sur les deux autres mais si tu choisis d’augmenter les salaires sans aménager les horaires et considérer le personnel, cela n’a pas vocation à être viable. Il y a un vrai problème de considération en France, beaucoup plus qu’en Angleterre où on observe plus de considération du personnel.

 

Pensez-vous qu’il ne soit finalement pas si difficile de recruter aujourd’hui mais que le problème de fond soit de recruter des profils formés et compétents ? 

C’est vrai, il y a un déficit de professionnels sur le secteur. Il y a des émissions qui mettent en avant les métiers de la cuisine et qui ont des effets positifs sur l’image que l’on a du secteur, c’est bien et je pense qu’il faut continuer de valoriser ces métiers pour donner aux gens l’envie de les faire. On constate un manque de personnel sur les métiers de la salle et de la sommellerie par exemple. Il faut donner aux gens l’envie d’aller dans ces formations-là. 

 

Quel est votre regard sur les écoles hôtelières, pensez-vous qu’elles ont un rôle à jouer dans la vision des métiers du secteur ? 

Je trouve qu’on n’entend pas les écoles. C’est un milieu très fermé. C’est un monde encore très traditionnel. Il y a un problème de représentation des professionnels du secteur.

 

Le 18 novembre, les organisations patronales et syndicales de l'hôtellerie restauration se réuniront pour chercher à rendre attractif le secteur et à fidéliser leurs collaborateurs. Qu’en pensez-vous ? Quelles sont vos recommandations ?

Il faut s’ouvrir aux nouvelles formes de travail comme le free-lance, et qu’ils acceptent que leur rôle est de représenter les restaurateurs et non pas la restauration. Il faut être plus représentatif, c’est le rôle d’un syndicat. 

 

Comment envisagez-vous l’avenir du secteur de la restauration et de ses emplois ?

Je l’imagine avec un peu moins de livraison et un peu plus de restauration sur place. Je trouve que la livraison casse l’expérience du restaurant. Mais je suis assez confiant car les gens reviennent au restaurant et je suis persuadé que ça restera, surtout en France, un secteur extrêmement bien représenté. C’est un pilier de l’économie ! La gastronomie française est connue dans le monde entier et inscrite au patrimoine mondial de l’humanité, maintenant, il est temps d’accepter les changements. La restauration de demain ne ressemblera pas à celle d’il y a cinquante ans qui, elle-même, ne ressemblait pas à celle d’il y a cent ans et c’est encourageant.