Recrutement saisonnier en restauration : quelles perspectives pour la saison d’hiver 2021/2022 ? Rencontre avec Thierry Suchet, gérant du restaurant Chez Pépé Nicolas à Val Thorens

Publié le 06.12.2021 - Dernière modification 31.10.2022
chez Pépé Nicolas + Thierry Suchet
Sommaire
  1. Chez Pépé Nicolas, c’est l’histoire d’une famille et surtout d’un grand-père, Nicolas Jay, ex-maire de Saint-Martin-de-Belleville et créateur de la station des Menuires ? 
  2. Plus qu’un restaurant, vous êtes une ferme d’alpage ouverte, nichée à 2280 mètres d’altitude. Pourriez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ? 
  3. Quelle cuisine le chef Martial Vuillemin propose-t-il ?
  4. Combien de personnes travaillent dans votre restaurant ? Sont-ils tous saisonniers ou certains travaillent auprès de vous tout au long de l’année ? 
  5. Avant la crise de la Covid-19, aviez-vous des difficultés à recruter du personnel dans votre restaurant ? 
  6. Que constatez-vous depuis l’ouverture de la saison 2021 quant au recrutement dans la restauration? 
  7. Concrètement, quels sont les avantages que vous leur proposez et qui vous permettent de fidéliser vos employés dans votre restaurant ? 
  8. Avez-vous observé beaucoup de reconversions depuis la crise de la Covid-19 ? 
  9. Quelle(s) autre(s) solution(s) seraient envisageables selon vous ?
  10. Comment envisagez-vous l’avenir des emplois saisonniers et des métiers de la restauration plus généralement ? 
  11. Infos pratiques

Ils seraient presque 240 000 salariés de la restauration à manquer à l’appel. Reconversion, quête de meilleurs salaires, de plus de flexibilité en termes d’horaires : les raisons sont multiples mais le constat bien présent, une grande partie des salariés de la restauration a déserté les rangs. 

Si la saison des sports d’hiver démarre tout juste et que le recrutement dans les restaurants s’avère difficile cette année encore pour certains, d’autres ont décidé d’anticiper et d’innover ! 

Direction Val Thorens où on a rencontré Thierry Suchet, un restaurateur pas comme les autres, pour qui bien être des salariés rime avec succès du restaurant ! 

Le gérant de Chez Pépé Nicolas, partenaire TheFork, nous a fait part des solutions qu’il a mises en place pour recruter du personnel dans son restaurant et fidéliser ses équipes. Mais d’abord, retour sur l’histoire de cet endroit hors du commun.

Chez Pépé Nicolas, c’est l’histoire d’une famille et surtout d’un grand-père, Nicolas Jay, ex-maire de Saint-Martin-de-Belleville et créateur de la station des Menuires ? 

Absolument, c’est l'histoire de mon grand-père né en 1912, il était agriculteur et a eu 10 enfants. 

Au 20ème siècle, l’agriculture de montagne c’était très difficile, on est loin des plaines de la Beauce ! Ici, ce sont des petits cheptels dans des conditions naturelles et météorologiques difficiles. Mon grand-père ne roulait pas sur l’or. À l’époque, les agriculteurs de montagne avaient leur habitation qui était souvent une écurie située en contrebas des montagnes et en saison d’été, ils montaient en alpages dans des montagnettes, des petites maisons composées d’une pièce d’habitation et d’une pièce où on fabriquait les fromages. Il venait chaque été en montagne avec son troupeau et nous, les petits enfants, on l’accompagnait pendant nos vacances d’été. On apprenait à traire les vaches, ce sont des souvenirs merveilleux. 

L’année où mon grand-père a pris sa retraite, avec mon frère, mon oncle et mon cousin on a décidé de poursuivre l’exploitation agricole pendant l’été en continuant à louer les animaux et en s’en occupant dans le cadre de l’alpage. On était des bi-actifs c'est-à-dire qu’on travaillait le reste de l’année. Puis on a eu envie de développer notre exploitation agricole en prenant plus d’animaux en location. Mais bon, il fallait quand même vendre nos produits ! On avait la chance d’avoir un bel emplacement car il est situé entre Les Ménuires et Val Thorens alors on a transformé la grange d’à côté en lieu de vente. Puis, comme il y avait du passage de randonneurs, on a vendu des boissons sur notre petite terrasse aménagée. On faisait participer les visiteurs à la traite des animaux. Quelques temps plus tard, on s’est dit que ça pouvait être sympa de proposer des spécialités à manger, alors on a construit une petite cuisine et une salle avec une capacité d’accueil de 30 personnes. On a continué sur ce mode d’exploitation jusqu’en 2012, uniquement l’été pendant la saison des alpages. Dans cette montagnette on n’avait pas d'électricité, on fonctionnait avec un groupe électrogène. En 2012, on a appris que le directeur des remontées mécaniques envisageait de faire une piste de ski à 50m de chez nous ! Alors on a fait des travaux pour accueillir la clientèle d’hiver tout en travaillant encore à l’ancienne avec notre groupe électrogène... Quand la piste a été créée, on s’est lancés dans un programme d’investissement important pour aménager le lieu, on n’avait plus le choix ! Maintenant, notre restaurant accueille une terrasse de 150 couverts et, à l’intérieur, on peut accueillir 100 personnes supplémentaires. Ce qui est incroyable aujourd’hui dans notre modèle en station, c’est qu’il y a très peu d’histoires de famille comme la nôtre. Et cette histoire familiale continue car ma fille est en train de reprendre l’opérationnel de Chez Pépé Nicolas. 

Chez Pépé Nicolas

Plus qu’un restaurant, vous êtes une ferme d’alpage ouverte, nichée à 2280 mètres d’altitude. Pourriez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ? 

En saison d’été, notre premier métier c’est d’être alpagiste. On continue notre activité d’agriculteurs en accueillant une centaine de chèvres et une trentaine de vaches l’été et en produisant notre propre fromage à retrouver dans notre restaurant. On est une ferme d’alpage ouverte, on propose des visites guidées et on fait participer nos visiteurs à la traite mais il n’y a pas d’aspect pédagogique à proprement parler. L’hiver, si des clients nous le demandent, on peut leur faire visiter notre cave à fromages. Depuis l’été dernier, on a mis en place un vivier de truites que les visiteurs peuvent également visiter. On propose tous nos produits à la carte. 

Quelle cuisine le chef Martial Vuillemin propose-t-il ?

Ça fait dix ans que Martial travaille avec nous. On propose des spécialités culinaires avec un grand niveau de qualité. On travaille nos propres produits et aussi avec les producteurs locaux. L’été, on a 2 000m2 de jardin en permaculture, on essaye d’être le plus autonome possible. On propose une cuisine gastronomique car notre clientèle est exigeante. Notre démarche, c’est d’avoir des produits locaux ultra-frais à la carte tout en faisant du volume. Imaginez manger des truites fraîches dans le plus grand domaine skiable du monde, je ne crois pas qu’on soit si nombreux à le proposer… 

 

Combien de personnes travaillent dans votre restaurant ? Sont-ils tous saisonniers ou certains travaillent auprès de vous tout au long de l’année ? 

Chez Pépé Nicolas, on est 27 personnes. 

C’est un vrai sujet. Il y a déjà des CDI dans l’entreprise et on aimerait faire passer certains saisonniers de notre restaurant en CDI à leur demande, en contrat annualisé. 

Ils feront plus d’heures pendant les mois de saison l’hiver et l’été et ils récupéreront pendant les mois d’inter-saison.  

Avant la crise de la Covid-19, aviez-vous des difficultés à recruter du personnel dans votre restaurant ? 

Non, pas du tout. Lorsqu’on faisait passer une annonce, on recevait une dizaine de CVs. 

Que constatez-vous depuis l’ouverture de la saison 2021 quant au recrutement dans la restauration? 

En mars 2020, on a fermé, puis on a ouvert l’été 2020 et on a fait une très bonne saison. L’hiver 2020 on faisait de la vente à emporter, sans remontées mécaniques, il y avait un peu de monde en station. Nous, on a plusieurs avantages qui nous permettent d’être attractifs et d’avoir un fort taux de fidélité. 

Compte tenu de notre activité d’été qui fonctionne bien, on propose à nos saisonniers des contrats d'environ 9 mois. Venir travailler chez nous, c’est déjà 9 mois de travail garantis ce qui constitue un avantage concurrentiel par rapport à nos confrères. Quand on demande à nos salariés pourquoi ils travaillent avec nous, c’est aussi parce qu’ils aiment travailler dans des des restaurants qui sont, aussi, des affaires familiales. D’autre part, on fait beaucoup de formations sur la relation client, la gestion des conflits, le luxe dans la restauration… 

Cet automne, on a beaucoup travaillé sur la marque employeur, on s’est demandé ce qu’on pouvait proposer à nos salariés, au-delà du salaire, pour les décider à venir travailler avec nous. Le fait d’avoir travaillé sur ces avantages nous a permis de ne pas avoir trop de problèmes de recrutement. 

Concrètement, quels sont les avantages que vous leur proposez et qui vous permettent de fidéliser vos employés dans votre restaurant ? 

Depuis quelques années, on fait en sorte d’avoir des logements très confortables pour nos salariés. Avant, ils étaient en colocation. Aujourd’hui, il nous reste un seul appartement en colocation. Tous les autres sont des appartements individuels où nos employés peuvent recevoir du monde et avoir leur propre indépendance, ce qui change beaucoup de choses. Ça a nécessité beaucoup d’investissements de notre part car on a dû acheter beaucoup d’appartements mais le jeu en vaut la chandelle ! On les a rénovés et on les a équipés pour en faire des lieux agréables à vivre. Pour un saisonnier qui est déconnecté de son milieu familial et social, de venir et d’avoir un endroit à lui où il se sent bien avec sa propre indépendance, ça fait vraiment la différence. 

D’autre part, on prend du temps avec eux en amont de leur prise de poste. On va les chercher à la gare, on les accompagne dans leurs démarches. Tout cela nous prend du temps et nous coûte de l’argent mais c’est indispensable à leur bien-être et à leur motivation. 

Aussi, on leur fournit un planning de début de saison, avec des jours de congés fixes que l’on va respecter (sauf cas exceptionnel). C’est organisé et ils ont le sentiment d’entrer dans une belle maison. On organise aussi les transports avec eux pour venir au travail. 

A propos des jours de congés, on essaye de leur faire comprendre qu’ils doivent vraiment profiter de ce jour de congé pour se reposer et se changer les idées. On va leur trouver des bons plans et leur exposer tout ce qu’ils peuvent faire et qui ne leur coûtera pas trop d’argent. On s’occupe de leur jour de congé en quelque sorte. 

On leur propose même la carte du restaurant à emporter à prix coûtant, au prix matière, pour leur éviter de devoir se faire à manger pendant leur jour de congé. 

Afin d’éviter les surcoûts des supérettes en stations, on leur propose de faire leurs courses en passant commande via le restaurant puisque nous commandons dans un grand supermarché situé non loin de la station et qui propose des livraisons

Prochainement, je pense leur proposer un coaching pour les aider à gérer leur budget car certains sont jeunes et sortent tout juste du cocon familial. 

 

On veut que nos salariés soient heureux et qu’ils aient envie de venir travailler le matin. On pense que tous ces éléments peuvent faire la différence par rapport à nos confrères. Il faut considérer les saisonniers, être capable de leur proposer un projet d’entreprise, d’inculquer des valeurs, de les écouter, de les comprendre et de leur donner des conditions de travail acceptables. On n’est plus dans les années 90 où on logeait des saisonniers à 10 dans des studios de 20m2 ! Considérer ses salariés comme des sous-fifres, on voit ce que ça donne aujourd’hui avec les établissements qui ont du mal à recruter : c’est le retour de la pièce, il fallait mieux les considérer, nous on n’a pas ce problème. 

Ce qui compte, c’est le sentiment d’appartenance à un établissement, à un univers avec des valeurs. Nous on est pas une chaîne, nos plats sont racontés et expliqués à nos clients et on est une entreprise familiale. C’est un bon équilibre entre l’intérêt que j’y retrouve en tant que chef d’entreprise et leur intérêt à être bien logés, bien payés et bien considérés. Ils voient qu’on fait les démarches pour qu’ils se sentent bien. 

Avez-vous observé beaucoup de reconversions depuis la crise de la Covid-19 ? 

Oui, on a eu des reconversions pendant l’hiver 2020. Notre chef de rang s’est reconverti en commercial dans une grande entreprise dans le nord de la France et le manutentionnaire s’est reconverti en agent immobilier !

Quelle(s) autre(s) solution(s) seraient envisageables selon vous ?

Pour moi, c’est de travailler avec mes employés à devenir une entreprise à mission. L’objectif n’est pas de gagner de l’argent, c’est de défendre des valeurs inscrites dans les statuts de notre entreprise. 

Comment envisagez-vous l’avenir des emplois saisonniers et des métiers de la restauration plus généralement ? 

Le premier objectif c’est de passer nos cadres en CDI pour qu’ils puissent être sereins et avoir des projets. 

Le second, c’est celui des coupures. Je comprends que ce soit difficile pour les saisonniers du restaurant d’arriver à 11h, de repartir à 16h00 et de revenir pour le service à 18h00… on mesure ça et donc on va les associer à la démarche pour savoir comment faire et trouver ensemble des solutions. Probablement cela passera par des embauches supplémentaires et qui dit embauche supplémentaire, dit acheter un appartement sur la station, ce n’est pas anecdotique mais l’un ne va pas sans l’autre !

extérieur val thorens hiver

 

Infos pratiques

Chez Pépé Nicolas
Sélection INSIDER

Ouvert midi et soir été et hiver.

Entre Les Ménuires et Val Thorens
73440 Saint-Martin-de-Belleville