ALAN GEAAM, histoire d’une étoile levantine

Publié le 01.11.2021 - Dernière modification 01.12.2021
alan geaam

Chef autodidacte, Alan Geaam a appris la cuisine dans les livres, à la lueur d’une bougie dans un Liban en proie à la guerre civile. Une enfance qui a marqué ce chef au tempérament travailleur et persévérant. Souvenirs d’enfance et d’une maman cuisinière, rêve français, amour de la transmission : un parcours extraordinaire du Libéria à Paris en passant par Tripoli, raconté en exclusivité à TheFork. 

 

Alan Geaam naît au Libéria en 1974. Il pose ses valises à Paris en 1999 avec deux cents francs en poche et sans notions de français. Maçon le jour et plongeur la nuit dans un restaurant libanais, Alan Geaam remplace un soir au pied levé le chef du restaurant. Un service qui marquera sa carrière puisqu’il lui permettra de décrocher son premier poste de chef. Depuis 2018, son restaurant Alan Geaam, restaurant partenaire TheFork, situé rue Lauriston dans le 16ème arrondissement de Paris est détenteur d’une étoile MICHELIN. Et ce n’est pas tout puisque le chef libanais est aussi propriétaire du bistro levantin Qasti, du comptoir street-food Sâj dans le marais et, depuis quelques jours seulement, de Qasti Shawarma. 

 

1 - Pourrions-nous revenir sur votre parcours et cette trajectoire exceptionnelle du Libéria à Paris ? 

J’ai quitté le Libéria quand j’avais 3 ans à cause du coup d’Etat. Je suis parti de chez moi et j’ai été au Liban où débutait la guerre civile libanaise. J’ai grandi à Tripoli dans cette autre guerre civile qui a beaucoup marqué mon enfance. Je vivais dans une cave avec ma famille et j’étudiais à la bougie. Pendant ce temps, ma mère cuisinait. Elle était tout le temps en train de remuer une gamelle, il y avait l’odeur des épices à la maison, l’odeur de la générosité. Il y avait toujours une gamelle sur la table et mes parents, mes frères et moi étions autour à discuter et à manger. Je regardais la gastronomie française dans les magazines. Pour moi, elle ressemblait plus à des peintures et à des tableaux d’art. C’était différent du Liban où l’on mangeait à la main avec des pita et des cuillères. C’est à cet instant que je me suis dit qu’un jour j’irai à Paris pour apprendre cette cuisine-là, ce métier d’artiste. 

 

2 - Votre détermination, votre persévérance sont-elles liées à votre histoire ? 

Je suis arrivé en France en 1999 avec un visa de sept jours. Aujourd’hui je vis un rêve français, et ce n’est pas le rêve américain ! C’est mon devoir de dire merci à Paris de m’avoir permis d’apporter ma culture de la meilleure façon qu’il soit, c'est-à-dire à travers la cuisine. 

 

3 - Comment s’est passée votre arrivée dans le secteur de la gastronomie en France ? Avez-vous fait des rencontres marquantes ?  

J’ai travaillé comme plongeur-commis dans un restaurant libanais avant de décrocher mon premier poste de cuisinier au Totem, un restaurant français situé place du Trocadéro. Là, j’ai commencé tout en bas de l’échelle. Je faisais des entrées et la plonge, puis je m’occupais de la viande, puis du poisson, puis je suis devenu sous-chef et enfin, chef. J’ai gravi les échelons de la cuisine avec beaucoup de travail et de rigueur. En 2007, je suis devenu chef-propriétaire de mon premier restaurant, l’Auberge Nicolas Flamelle et en 2017 j’ai ouvert mon premier restaurant qui s’appelle Alan Geaam, où je fais de la cuisine française avec une influence libanaise. 

 

4 - Quelles sont vos inspirations, comment vous est venue cette passion pour la cuisine ? 

C’est grâce à ma mère. Elle m’a appris à aimer les gens. Je pense qu’avant de cuisiner pour les gens, il faut les aimer. Elle m’a appris l’hospitalité et à cuisiner avec de l’émotion et de l’amour.

 

5 - Comment avez-vous appris à cuisiner ?  Je pense notamment aux aspects qui font appel à des connaissances techniques (techniques de découpe, de cuisson, d’association de saveurs…) ? 

La technique m’est venue avec la cuisine française au fil des années. Ce sont les livres qui m’ont le plus appris. Je n’ai pas été formé par des chefs mais par des livres et je continue à apprendre tous les jours. J’ai commencé par acheter les livres destinés aux formations CAP, BEP, puis les livres de tous les grands chefs qu’on voyait dans les journaux, dans les magazines et à la télé. Alain Ducasse, Yannick Alléno, Guy Savoy… J’ai acheté les livres de tous ces grands chefs. Il y a quelque temps je voyais ces chefs comme des dieux de la cuisine et aujourd’hui, on se retrouve dans les mêmes dîners, les mêmes soirées, c’est super drôle la vie. Si je continue à apprendre et à avancer aujourd’hui, c’est grâce à mes équipes. Chaque matin quand je me réveille, je me dis qu’il faut que je fasse mieux qu’hier. On a la chance d’être en France, un pays où on peut réaliser des rêves, où on peut évoluer et avancer. 

 

6 - Comment définiriez-vous votre cuisine ? Levantine ? Fusion ? 

La cuisine de mon restaurant Alan Geaam est moitié française, moitié libanaise. La base c’est une cuisine française, je suis amoureux de cette cuisine et j’y ajoute mes racines dedans. Le bistro Qasti (restaurant partenaire TheFork), pour le coup c’est de la cuisine libanaise. On a  voulu avoir un projet de restauration hybride où l’on peut manger sur place, à emporter, en livraison, comme on veut ! J’ai envie de montrer que la cuisine libanaise est une cuisine moderne, très élégante, très raffinée, ce n'est pas que des choses lourdes et des fritures. C’est le travail que je fais.

 

7 - Quelle recette incarne le mieux votre cuisine ? 

Il n’y a pas de recette. Je travaille les produits de saison, les poissons sauvages, les viandes de ferme, j’ai un bon fromager et de bonnes épices que je rapporte du Liban. Le zaatar et la mélasse de grenade me suivent toujours dans mes recettes. C’est ça ma cuisine, il n’y a pas de recette fixe. La cuisine, ce n’est pas des recettes que l’on fait pendant 10 ans ! Pour moi, ce sont les souvenirs que j’ai en France, les techniques que j’ai apprises en France, les savoir-faire que j’ai appris en France, c’est ça qui m’a aidé à faire évoluer ma cuisine. C’est vraiment la France. La cuisine c’est aussi ma mère et la guerre civile libanaise et l’ambition que ça a développé en moi. Cette envie d’y arriver… peut-être parce que j’ai eu une enfance très compliquée. 

 

8 - Lors d’une interview à LCI, vous avez dit vouloir “traduire dans votre assiette toutes les choses que vous avez apprises en France”. Pourriez-vous nous en dire plus, nous en citer quelques unes ? 

Ce que j’ai appris de mon enfance, c'est le umami. J’ai appris à manger simple et très bon. N’importe quelle bouchée que je mets dans ma bouche, il faut que ça explose. L’umami je l’ai appris au Liban. J’ai appris au Liban à manger et en France les savoir-faire. 


 

LA TRANSMISSION

 

9 - Vous êtes récemment intervenu dans une école dans le cadre de la semaine du goût, en quoi la transmission est-elle importante pour vous ? Votre amour pour la cuisine est-il lui-même hérité de quelqu’un en particulier ?  

Dès l’âge de 6 ans j’étais dans la cuisine avec ma mère. Quand j’ai vu la semaine du goût, je me suis dit que c’était le moment d’aller discuter avec ces jeunes. La passion pour la cuisine vient à leur âge, c’est maintenant, c’est pas plus tard. Peut-être qu’il y aura des chefs parmi eux. Ma fille a 6 ans aime beaucoup la cuisine. À partir de cet âge-là, la naissance des vocations commence. 

 

10 - Les Awards 2021 organisés par TheFork ont lieu à Marseille à la fin du mois de novembre. Vous faites partie des chefs parrains de cette seconde édition. Pourquoi avez-vous choisi de parrainer Sophie Reigner, la cheffe du restaurant “Iodé”, assiette MICHELIN situé à Vannes ? 

On a beaucoup de choses en commun, elle est autodidacte et s’est retrouvée dans la cuisine par passion. C’est quelqu’un qui s’est reconverti et qui se bat tous les jours pour grandir, évoluer et surtout percer cette sphère de la gastronomie française. Nous, on vient de l’extérieur, on est des outsiders. C’est une femme qui se bat dans un milieu d’hommes. Elle fait des crédits, elle a ouvert son propre restaurant, j’espère qu’elle aura son étoile l’année prochaine... Je souhaite le meilleur pour elle. Elle a donné beaucoup pendant 3 ans dans mon restaurant AG les Halles. J’ai d’autres chefs qui viennent de formations classiques, c’est différent de ceux qui viennent d’ailleurs et pour qui la cuisine est une reconversion. Moi j’ai commencé la cuisine à 24 ans, je n’ai pas eu la chance d’en faire mes études dès l’âge de 16 ans. 

 

11 - Si vous deviez définir en une phrase la notion de transmission en cuisine, quelle serait-elle ? 

C’est partager ce qu’il y a en nous, partager aux gens notre émotion et l’amour qu’il y a à l'intérieur de nous.

 

12- Quels sont vos projets futurs, vos ambitions ? 

Je viens d’ouvrir il y a quelques jours Qasti Shawarma juste en face du bistro Qasti ! Mon futur projet est de conserver ce que j’ai réussi à faire : garder l’étoile, la vie de famille et ensuite montrer que la cuisine libanaise est raffinée et élégante. Dans chaque restaurant que j’ouvre, il y a une histoire à raconter. Je n’ouvre pas de restaurants juste pour le business, l’argent c’est seulement pour la sécurité. Mes établissements sont de petits restaurants à taille humaine où je raconte une histoire. Mon histoire c’est mon moteur, c’est l’énergie que je développe à raconter et à transmettre. Aujourd’hui, dans le nouveau restaurant que j’ai ouvert, c’est une histoire qui est racontée tous les jours aux parisiens, aux libanais, aux gastronomes.

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